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visite quotidienne et, puisque cela lui faisait plaisir, je ne voulais pas qu’on la chassât. Nous étions devenus de très bons amis, notre première rencontre avait été orageuse, terrible même, mais c’était oublié. Tous deux, nous étions d’accord pour reconnaître qu’il y avait eu malentendu ; nous étions nés pour être des amis et non des ennemis. J’ai su depuis que l’animal appartenait au directeur du magasin Old England qui habitait une villa à Étretat. »

Notre déjeuner tirait à sa fin. Le dessert était sur la table, c’était du gâteau de riz. « Comme cela se trouve bien ! » dit mon maître. Dès qu’il fut servi, il ajouta : « Vous savez, François, que l’eau fait ressortir avantageusement le goût des plats sucrés ? » Il se fit apporter par la servante un verre blanc et me versa de son eau de Saint-Galmier. En effet, le gâteau me parut meilleur avec cette eau.

Tout en continuant de manger, Monsieur laissa tomber son lorgnon aux verres fumés, sans doute pour mieux voir la Seine. Il ne se lassait pas de la regarder :

« Ah ! me dit-il, je la connais, cette Seine, aussi bien dessus que dessous. Que de plongeons j’y ai faits ! Il y a quelques années, je quittai Sartrouville pour venir habiter Croissy afin de ne plus avoir à passer l’écluse de Port-Marly où, quand il y avait trop à attendre, je prenais ma yole sur mon épaule et la portais de l’autre côté. Voilà pourquoi j’ai l’épaule droite un peu creusée. Je louai une modeste maison à Croissy. Là, j’avais quelques voisins, entre autres un ingénieur distingué qui, pour faire plaisir à sa femme, était venu passer quelque temps en banlieue.

« Une nuit, j’entends qu’on m’appelle au dehors. J’ouvre ma fenêtre, c’était mon ami qui venait me dire