Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venirs sont d’autant plus précis que je fus très surpris quand le maître d’hôtel me dit, en me désignant M. Flaubert : « Vous voyez ce monsieur ; il faut toujours le servir le premier, même avant les dames. »

« Il occupait la place de droite près de la maîtresse de maison et Claudius Popelin celle de gauche. « Cela se fait ainsi, me dit le maître d’hôtel, parce que ce monsieur est un esprit supérieur, un écrivain remarquable. Du reste, je vous donnerai à lire un de ses livres et vous pourrez en juger par vous-même. » Il me donna Madame Bovary, que je lus d’abord tout seul. Ce livre m’impressionna vivement ; je le trouvai tellement juste et si saisissant que j’en fis la lecture à haute voix pendant plusieurs soirées à la cuisine devant tout le personnel assemblé. Cette lecture suscita des discussions entre les femmes de chambre à propos de la première sortie à cheval de Mme  Bovary avec le seigneur son voisin, et cela devint encore plus sérieux quand je lus le passage où Mme  Bovary, en revenant du château, un matin, se trouve devant la hutte aux prises avec le braconnier chasseur. La bonne anglaise disait : « Oh ! yes ! moi, à la place de Mme  Bovary, je serais entrée dans la hutte très gentiment, je l’aurais étourdi, enveloppé de fausses caresses, puis je lui aurais arraché son fusil, et j’aurais tué, lui ! Comme cela, il n’aurait pas pu dire aux gens du pays qu’il avait vu moi revenir du château ! »

« Pour mon compte. Monsieur, je vous dirai que j’ai longtemps rêvé du pharmacien. De la fenêtre de notre cuisine, on pouvait voir jusque dans la salle à manger de M. Flaubert. Après la lecture de Madame Bovary, cette fenêtre était toujours occupée par une ou deux femmes de chambre qui cherchaient à apercevoir l’auteur de ce