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dations et j’étais sincère. Mais mon diable de tempérament était rebelle ; pour moi tout ce beau monde, c’était toujours des messieurs et des mesdames, et je dus m’observer pour arriver à articuler « monseigneur » ; ma langue fourchait toujours, malgré ma bonne volonté…


Le Jour de l’an est arrivé. Mon maître dîne en ville, encore chez une altesse… Sa mère dîne à la maison avec une amie. Leur conversation roule sur le peu de valeur des titres de noblesse ; j’en profite pour dire à Madame mon manque d’éducation sur ce point et surtout la mauvaise disposition de mon tempérament. Je lui avouai que tout en m’observant beaucoup, je me trompais très souvent, aussi bien à bord du bateau qu’à la maison. Madame croit que j’arriverai à mieux faire, puisque j’y mets de la bonne volonté. Elle finit pourtant par reconnaître qu’elle me comprenait très bien et que, sans m’approuver, elle en ferait tout autant… Ces dames s’amusèrent beaucoup de quelques anecdotes sur les titres de noblesse que je leur racontai.


Le 22 janvier, mon maître donne un grand dîner à la société aristocratique résidant à Cannes. Il y a beaucoup plus de dames que d’hommes. Mme de Maupassant mère y assiste et aussi une petite dame très érudite, la même qui fera plus tard la somnambule et prédira l’avenir aux dames du grand monde, à une fête donnée par M. de Maupassant à Étretat.

Le dîner est déjà très avancé ; toutes ces dames, qui d’habitude, chez elles, mangent à peine, sont prises ici d’un très bel appétit ; elles font honneur aux plats et n’en laissent pas passer un seul. Mon maître le remarque et je vois sur sa figure qu’il en éprouve une vraie satis-