Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moi, car, malgré la très grande occupation que nous avions pour faire marcher le bateau, il me semblait que je subissais un certain froid, probablement occasionné par l’impression de cette mauvaise mer. Monsieur s’en aperçut : « François, dit-il, prenez donc un verre de champagne. »

On reconnut qu’il était inutile de chercher à franchir ces énormes vagues, on prit le parti de louvoyer entre la côte et les îles Jarre et Rion.

Nous venions de doubler l’île Mairé. Après une heure de ballotage, nous avions enfin un peu de calme, quand un brouillard très épais nous surprit ; nous étions dans une obscurité complète, nous naviguions à peine, car nous ne savions plus où nous allions, l’avant du bateau, fendait une mousse blanche très compacte. Vers 10 heures et demie, le brouillard se dissipa, nous pouvions enfin apercevoir la voûte du ciel. Le courant nous portait vers la côte, près de laquelle il y avait beaucoup de danger. Faute d’éléments, le Bel-Ami ne gouvernait qu’à peine. Bernard pestait, Raymond jetait des « foutres » à tous les dieux des mers. Mon maître tenait toujours la barre avec son même calme… Raymond descendit dans le canot et nous prit à sa remorque, tirant ferme sur ses avirons. Il fallait éviter la côte.

Mon maître pria alors Bernard de prendre la barre, disant qu’il descendait se reposer sur le divan. Mais il demandait qu’on le prévînt lorsqu’on approcherait de Cassis ; il voulait reprendre la barre pour la manœuvre d’entrée dans ce petit port. Nous y sommes arrivés à une heure, nous fîmes notre premier déjeuner à bord du Bel-Ami ; ce fut, je crois, le meilleur que nous y ayons jamais fait. Notre promenade nous avait ouvert démesurément l’appétit.