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terminé. Le vainqueur avait droit au frein ; on ne pouvait le lui refuser ; il ne restait plus que la ressource de l’y faire renoncer lui-même, et voici comment on espéra réussir.

Le nain, venant le saluer avec respect, l’invita de la part de la châtelaine, sa maîtresse, à prendre part à un grand festin. Elle le reçut couverte de soie et de pierreries et assise sur un trône d’argent que surmontait un dais de velours brodé d’or. Sa beauté était éblouissante. Elle fit placer Gauvain à ses côtés et voulut elle-même le servir pendant tout le repas. Entre autres propos, elle lui fit de tendres reproches sur la mort de ses lions et sur la défaite de son chevalier. « C’étaient, dit-elle, mes seuls défenseurs ! » Elle avoua ensuite que la demoiselle à la mule était sa sœur et qu’elle lui avait enlevé le frein. « Renoncez, Messire, ajouta-t-elle, aux droits de votre victoire. Fixez-vous près de moi et me vouez ce bras invincible dont je viens d’éprouver la force, ce château et trente-huit autres plus beaux encore sont à vous avec toutes leurs richesses, et celle qui vous prie de les accepter s’honorera elle-même de devenir le prix du vainqueur. »

Ces offres séduisantes n’ébranlèrent pas Gauvain. Il persista toujours à exiger le frein, et quand il l’eut obtenu, il repartit sur la mule au milieu des chants de fête d’une foule de peuple qui, à son grand étonnement, accourut sur son passage. C’étaient les habitants du château qui, confinés jusqu’alors dans leurs maisons par la tyrannie de leur dame, ne pouvaient en sortir sans courir le risque d’être dévorés par ses lions et qui, maintenant libres, venaient baiser la main de leur libérateur.