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Un jour qu’il était arrivé à la halle beaucoup de poisson, Hain, dans l’espérance qu’il serait à bon marché, dit à sa femme d’aller lui en acheter un plat. « Quelle sorte de poisson voulez-vous ? demanda-t-elle ; est-ce de mer ou d’eau douce ? — De mer, douce amie. » Là-dessus Anieuse prend une assiette sous son manteau, elle sort et rapporte au logis des épinards.

« Parbleu, notre femme vous n’avez pas été longtemps, dit Hain en la voyant rentrer ; çà, de quoi m’allez-vous régaler ? voyons. Est-ce du chien de mer ou de la raie ? — Fi donc, l’horreur, avec votre vilaine marée pourrie. Vous croyez que je veux vous empoisonner, apparemment ! La pluie d’hier a fait tourner le poisson, beau sire ; c’est une infection et j’ai manqué de me trouver mal. — Comment, une infection ! Eh ! j’en ai vu passer ce matin, qui était frais comme au sortir de l’eau. — J’aurais été bien étonnée si j’avais réussi une fois à te contenter. Non, jamais on n’a vu un homme comme celui-là pour toujours gronder et ne jamais rien trouver à sa guise. À la fin je perds patience. Tiens, gueux, va donc acheter ton dîner toi-même, et accommode-le ; moi, j’y renonce. » En disant cela elle jette dans la cour et les épinards et l’assiette.

Ceci, comme vous l’imaginez, occasionna encore une querelle ; mais sire Hain, après avoir un peu crié, réfléchit un instant et parla ainsi : « Anieuse, écoute. Tu veux être la maîtresse, n’est-ce pas ? Moi je veux être le maître ; or, tant que nous ne céderons ni l’un ni l’autre, il ne sera jamais possible de nous accorder. Il faut donc, une bonne fois pour toutes, prendre un parti, et puisque la raison n’y fait rien, se décider