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Pourquoi lauteur a-t-il émaillé son livre de ces comparaisons impossibles ? Personne n’osera prétendre qu’elles sont destinées à l’embellissement de l’ouvrage. M. Lemay lui-même ne voudrait pas soutenir cette thèse devant un auditoire intelligent. Mais quel en est donc l’objet ? Aidé des lumières de quelques amis, je crois avoir trouvé le mot de l’énigme : empêcher de dormir. Placées à des intervalles réguliers, ces comparaisons choquantes produisent sur le lecteur la sensation que ferait éprouver la décharge d’une série de batteries galvaniques. Tout en vous irritant les nerfs, cela vous tient éveillé.

M. Lemay ne manque jamais l’occasion de placer une de ces machines électriques ; il se porte plutôt à des excès regrettables. Notre auteur ne craint pas de dire que les « deux brigands poussent une clameur qui retombe sur eux comme le sang du Christ retomba sur les juifs maudits.” Comparer le sang du Christ à une clameur de brigands, c’est plus qu’une absurdité littéraire, c’est un blasphème.

Le français du Pèlerin de Sainte-Anne n’est pas toujours d’une pureté académique, même lorsque l’auteur prend la parole. Exemples :

Il avait peur qu’on le lui ravit.

L’aveugle fureur du peuple est traître.

M. Lemay n’évite pas toujours les anglicismes. Il dit : « se donner du trouble » pour « se donner de la peine. » Surtout il tombe dans le trivial. On trouve dans son livre des conversations comme celle-ci :

— C’est toi qui restes avec la taque ! (le tac peut-être.)

— Non, je l’ai donnée à Henri.

— Ce n’est pas vrai !

— As-tu la pelotte, Alec ?

— Non, c’est petit Pierre qui l’a.

— Serre-la bien, petit Pierre ! on jouera après l’école !

En somme, le style du roman laisse à peu près autant à désirer que sa moralité.