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Parlons maintenant du style du Pèlerin de Sainte-Anne.

Dans mes remarques au sujet des « quelques chapitres » que M. Lemay a bien voulu livrer à la publicité, le printemps dernier, je me suis élevé de toutes mes forces contre « l’abondance stérile » et les comparaisons absurdes de l’écrivain. Aujourd’hui, après avoir lu le livre en entier, je n’ai rien à rétracter ; loin de là. Et je vois que, de son côté, M. Lemay n’a rien retranché à son œuvre. La comparaison des corneilles et celle des regards de deux étoiles y sont encore, malgré les nombreux conseils que les amis de l’auteur lui ont donnés touchant ces passages et d’autres du même aloi. Je respecte le courage de l’écrivain si je ne puis admirer sa prose.

L’auteur du Pèlerin de Sainte-Anne affecte les allures de Victor Hugo dans ses derniers romans, notamment dans Quatre-vingt-treize : phrase sèche, saccadée, menu-hachée et rude. On la lit avec la même facilité que l’on mangerait du bran de scie ou du son.

Comme je l’ai déjà fait remarquer, M. Lemay affectionne outre mesure les épithètes qu’il accroche partout. Voici un exemple de cet amour excessif.

Vient ensuite… la troupe des scieurs. C’est elle qui coupe, en faisant chanter l’acier de son immense scie, l’écorce rugueuse, l’aubier tendre et le cœur dur du squelette puissant.

Autre exemple.

La chandelle de suif qui brûle dans le fanal de ferblanc rond et percé a jour comme une broderie, n’éclaire guère (belle consonnance) le rivage sombre, et le mythologiste qui aurait vu passer dans la nuit ces ombres silencieuses guidées par une pâle et tremblante lumière, etc.

M. Lemay, dont le langage est en général très-libre, a parfois de singuliers scrupules. Une petite fille se lève la nuit. De suite il la drape modestement dans « un primitif vêtement de toile. »

Mais le château-fort de M. Lemay, c’est la comparaison. Entre ses mains, cette figure de rhétorique est une mine inépuisable qu’il exploite hardiment. Sous