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roman, j’ai tâché de suivre la marche naturelle des événements, mais il m’a été impossible de suivre l’auteur lui-même, qui procède par sauts et par bonds. Au chapitre XI du premier volume, par exemple, il saute de l’hôtel de l’Oiseau de proie, où Djos est en train de lier connaissance avec Picounoc, à Lotbinière où Racette fait des siennes. Dans un autre endroit, il nous fait voir, presque simultanément, Noémie Bélanger qui rêvasse au Platon et Geneviève qui pleure au Château-Richer. Ailleurs, au chapitre XVII du second volume, il se lance, pieds joints, de la petite rue Saint-Joseph, où Racette est sur le point de tuer Marie-Louise, au Château-Richer où Djos revient après avoir vainement cherché sa sœur. Puis, se souvenant tout à coup que le maître d’école a toujours la main levée sur l’orpheline, il nous ramène à la petite rue Saint-Joseph, son lieu de prédilection, pour être témoins de la bravoure de Geneviève qui arrête le bras de Racette prêt à tomber, ne fût-ce que de fatigue, sur l’innocente victime.

Pour tout dire en un mot, les transitions sont si brusques que l’on croirait presque, suivant l’expression du Nouveau-Monde, à une transposition de la matière imprimée.

Les personnages que M. Lemay met en scène sont faibles au point de vue de l’art. Ils n’ont, en général, aucun trait caractéristique, rien qui les distingue les uns des autres ; ils pensent et s’expriment de la même façon, et tous sont également méchants ou également bons.

Avant de laisser le chapitre de l’intérêt, je dois dire un mot du dénouement. M. Lemay, ce me semble, n’avait pas besoin de marier son héros à l’insignifiante Noémie Bélanger. Il aurait pu en faire un missionnaire qui se fût dévoué à la conversion de ses anciens compagnons des chantiers. C’eût été plus grand, plus élevé, plus naturel même, car un homme de la trempe de Joseph, converti et devenu l’objet de miracles éclatants, devait songer à une vie plus noble encore que la vie domestique.