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MÉLANGES

Remarquez-le bien : nous ne disons pas que la presse soit nécessairement mauvaise. Rien, si l’on excepte le péché, n’est nécessairement mauvais. Mais le journal, se prêtant plus facilement au mal qu’au bien, offrant plus de facilités, plus de ressources aux méchants qu’aux bons, doit être considéré comme dangereux et nuisible, et, par conséquent, regrettable.

Les hommes se sont toujours fait la guerre, et ils se la feront jusqu’à la fin des siècles. Car la guerre, comme la mort, comme les maladies, comme tous les fléaux, est entrée dans le monde avec le premier péché, et comme la mort, les maladies et les autres fléaux, elle n’en sortira qu’avec le dernier fils d’Adam. Mais autrefois les guerres, même injustes, avaient quelque chose de noble. Les hommes se battaient face à face, corps à corps. Le courage et la vaillance remportaient presque toujours la victoire. Une armée, à cette époque, n’aurait pu être écrasée parce que la main d’un traître aurait rempli les cartouches de sable.

La guerre des intelligences se faisait, dans les temps anciens, par les livres manuscrits, par les discussions publiques. Le mal avait des armes, il est vrai, mais le bien possédait des avantages signalés. Le savoir et le travail pouvaient espérer de vaincre l’ignorance et la paresse.

Aujourd’hui, que voyons-nous ?

Dans les armées, la force physique et la bravoure n’ont guère de valeur. Un nain, en embuscade, peut abattre vingt colosses ; quelques torpilles, placées nuitamment, peuvent détruire toute une flotte ; la victoire dépend souvent d’un accident de terrain. Le tueur d’hommes a remplacé le soldat.

Et dans le domaine des idées ? Un seul esprit, médiocre peut, au moyen du journal, faire plus de mal dans une demi-heure que cent intelligences d’élite n’en peuvent réparer dans un an. Le journaliste se cache derrière l’anonyme, tout comme le guérilla moderne, derrière un rocher. Embusquées dans le journal, l’envie, la jalousie, la médisance, la calomnie, la haine, la vengeance, lancent leurs traits empoisonnés sur les réputations les plus pures, sur les caractères les plus