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CHAPITRE IV

ANAXIMANDRE DE MILET

I. — Le Savant.


1. Sauf Aristote, tous les auteurs qui nous citent Anaximandre ne connaissent sans doute que de seconde main des fragments de l’écrit qu’il avait composé « sur la nature ». Cependant il se trouvait encore entre les mains du chronographe Apollodore d’Athènes, et, comme on l’a vu, ce dernier y lisait probablement que l’auteur en avait 64 ans, et il pouvait, par quelque autre renseignement, fixer la date à Ol. 58,2 = 547 avant notre ère. À ce moment, Thalès, quoique d’une génération antérieure, n’était guère mort que depuis une dizaine d’années. Rien ne fut donc plus naturel que de supposer entre les deux concitoyens, qui se connurent sans nul doute, les relations de maître à disciple ; mais cette invention des âges postérieurs en transportait les mœurs dans un siècle auquel elles étaient étrangères. Si les Ioniens reflètent naturellement les connaissances scientifiques de leur époque, si l’on est, dès lors, autorisé à attribuer à chacun d’eux celles que possédait déjà son précurseur, ils n’en apparaissent pas moins, en tant que penseurs, comme indépendants et isolés, et s’ils ont eu des disciples, ce ne fut que par leurs écrits, après leur mort, sur le sol de la Grèce et au temps des sophistes. Alors, par exemple, Hippon reprendra l’idée de Thalès sur le rôle primordial de l’eau, et, en présence des autres doctrines surgies depuis, il essaiera de la défendre par des arguments auxquels le Milésien n’avait nullement pensé, mais que les doxographes n’en ont pas moins mis à son compte.

En tout cas, l’ouvrage d’Anaximandre serait, non pas l’aventureux essai d’un jeune homme, mais le couronnement d’une carrière