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lumière les points communs, c’était le moyen de détruire ces opinions les unes par les autres, et de laisser le champ libre pour l’exposé d’une thèse nouvelle. Mais au moins le Stagirite développait cette thèse, au moins semblait-il chercher à faire jaillir la vérité du choc des doctrines contraires.

Tels que les Placita furent rédigés, ils ne pouvaient que satisfaire la curiosité du lettré ou fournir des arguments au scepticisme. Ils caractérisent l’état d’esprit d’une époque dont nous ne pouvons que difficilement nous faire une idée, à notre idée, à notre âge de dogmatisme scientifique. Il semble que l’étude de la nature était alors retombée à l’état actuel de notre philosophie, au simple probabilisme. L’idéal si bien entrevu par Aristote s’est obscurci ; déjà académiciens et épicuriens se sont endormis sur le commode oreiller du doute, et les stoïciens ne sont pas de taille à secouer la torpeur qui gagne les esprits. L’éclectisme auquel ils se laissent désormais aller, décèle en réalité un manque de convictions, quelles que soient les protestations contraires.

4. Il semble qu’au second siècle avant notre ère, l’académicien Clitomaque faisait déjà dans un but sceptique un extrait de Théophraste, au moins pour la partie concernant les principes ; on croit, en effet, que c’est à ses écrits que Cicéron a emprunté la matière de son Lucullus, où se retrouve un pareil extrait, évidemment traduit du grec. Un peu plus tard, l’épicurien Philodème, dans son ouvrage Sur la piété, dont des fragments importants ont été tirés des manuscrits d’Herculanum, opposait de même les unes aux autres les opinions des anciens sur les dieux, et Cicéron le paraphrasait encore dans son premier livre De deorum natura[1].

Bien entendu, les sceptiques proprement dits, comme Sextus Empiricus, ne se feront pas faute de semblables procédés. Mais c’est surtout aux chrétiens que les recueils des doxographes fourniront plus tard un arsenal inépuisable dans leur lutte contre l’hellénisme, et c’est même grâce surtout à cette polémique que de tels recueils ont survécu, malgré leur mince valeur intrinsèque. Le procédé est toujours le même, s’il varie comme forme du ton le plus sérieux au persiflage ou même à la bouffonnerie. Exposer

  1. Cicéron, qui met cette paraphrase dans la bouche d’un épicurien, défigure d’ailleurs singulièrement son tuteur, en exagérant ses dires et en y mêlant des faussetés évidentes, comme s’il voulait le ridiculiser.