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dérée comme provenant exclusivement du caractère propre à la race hellène ; elle s’est gardée scientifiquement, non pas contre de vaines attaques, mais contre les erreurs où entraînent les raisonnements mal conduits chez un peuple qui aime à raisonner ; ce fut là notamment l’objet des Ψευδάρια d’Euclide. Quant à l’emploi si fatigant de la méthode de réduction à l’absurde, il faut aussi y voir un trait particulier du génie grec, trait qui apparaît d’une façon si frappante dans la dialectique de Zénon d’Élée.

Les récents historiens de la mathématique les plus autorisés[1] ont vu très nettement qu’à la différence des sophistes proprement dits, ce dernier penseur a exercé au contraire une action très importante au point de vue de la science abstraite, et ils ont exactement reconnu quels concepts fondamentaux se sont élucidés à la suite de la polémique qu’il a ouverte ; mais s’en tenant, pour spécifier la position prise par Zenon d’Élée, aux résumés courants de sa doctrine, ils n’ont pas déterminé le but véritable de son argumentation, et ils l’ont, par suite, encore estimé beaucoup au-dessous de sa valeur réelle.

Zénon d’Élée ne paraît pas avoir été réellement mathématicien, pas plus qu’il ne fut physicien ; mais c’est un des hommes qui ont le plus fait pour les principes des mathématiques, en précisant rigoureusement les notions fondamentales du point et de l’instant et en détruisant définitivement les erreurs dont ces notions étaient entachées, je ne dis pas seulement pour le vulgaire, mais encore chez les savants de son temps. C’est ce que je me propose d’établir particulièrement dans ce chapitre, tout en restituant en même temps la véritable position philosophique de Zénon, position qui me parait avoir été méconnue jusqu’à présent.


2. Le but des Discours qu’il avait écrits a été très clairement défini par Platon, auquel il faut évidemment s’en tenir : Zénon a combattu la croyance à la pluralité comme hypothèse et en démontrant que, si cette hypothèse est admise, on arrive nécessairement à des contradictions, puisqu’on est également conduit à affirmer pour les choses l’infinie petitesse et l’infinie grandeur, le repos et le mouvement. Ainsi il doit être bien entendu (ce qu’on oublie trop souvent de mentionner) que, quels que soient ses célèbres arguments, Zénon n’a nullement nié le mouvement (ce n’est pas un

  1. Hankel, Zur Geschichte der Mathematik, p. 117 suiv. — M. Cantor, Vorlesungen über Geschichte der Mathematik, p. 168-170.