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allusions intelligibles pour les seuls initiés, mais encore, dans son langage sibyllin, « il ne révèle ni ne cache, mais il en indique » (fr. 11) le sens profond que les époptes eux-mêmes ne connaissent pas.

Il ne prétend point convaincre par la démonstration ; il réclame la foi qu’il déclare indispensable pour l’intelligence (fr. 7). Il n’a point eu de maître humain ; il s’est cherché lui-même et il a trouvé (fr. 84). C’est le verbe universel (λόγος ξυνός, fr. 58) qui l’inspire divinement, mais sa parole n’est destinée qu’à une élite choisie ; le vulgaire est incapable de la comprendre, après l’avoir entendue, tout comme avant de l’entendre (fr. 4) ; le vulgaire est comme sourd et ne sait ni parler ni écouter (fr. 4, 5).

Plus Héraclite méprise les opinions des autres, plus il estime les siennes, qu’il sait conserver comme l’absolue vérité ; mais, ce qui marque surtout son caractère de « théologue », n’essayez pas de lui parler de la science ; ce n’est point elle qui forme l’intelligence (fr. 14) ; elle n’est qu’une vaine curiosité, le chemin de l’erreur inévitable. Vous cherchez la grandeur du soleil ; eh quoi ! n’a-t-il pas ce qu’il vous paraît avoir, un pied de large (9) ? Qu’allez-vous vous inquiéter davantage ?

Bien entendu, la théologie d’Héraclite n’est point celle de la religion populaire. Homère, Hésiode (fr. 89, 95) sont mis par lui au même rang que Pythagore, Xénophane, Hécatée. À l’époque où il vivait, les vieilles traditions des âges héroïques étaient déjà trop lettre morte pour fournir à la philosophie naissante un appoint sérieux, des dogmes acceptables. L’élément qu’Héraclite y va introduire a été élaboré ailleurs.

Depuis longtemps déjà s’étaient introduits sur le sol hellène des rites singuliers, des mythes étranges, dont la connaissance était interdite au profane. L’âge était venu où un penseur, méditant sur la vérité que cachaient ces symboles, pouvait essayer de l’en dégager. C’est ce que tenta Héraclite, c’est là que réside le caractère tout spécial de son œuvre ; c’est ce qui explique le succès qu’elle obtint et l’influence considérable qu’elle exerça sur le développement ultérieur de la philosophie hellène.

Le dogme du flux perpétuel des choses attire d’ordinaire avant tout l’attention qui se porte sur l’Éphésien ; mais il n’y faut pas voir sa véritable originalité ; en fait, formule à part, ce dogme est contenu dans la thèse d’Anaximène. Malle part au contraire, avant Héraclite, nous ne voyons rejeter au second plan les questions