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rieurs. Certes, après qu’Aristote a élaboré ses théories de l’acte et de la puissance, on peut parler de dynamisme ou de mécanisme. Mais, pour les Ioniens, surtout les premiers, les notions qui se rapportent à ce sujet sont absolument confuses ; aussi les textes invoqués dans l’objet, ceux où, par exemple, Aristote essaie d’appliquer ses théories à la doctrine d’Anaximandre, sont en réalité contradictoires, preuve irrécusable de cette confusion.

Et les théories d’Aristote elles-mêmes n’ont qu’une importance historique. Qu’on demande à un chimiste de nos jours quelle différence il y a entre un mélange et une combinaison, il établira entre ces deux termes une distinction nette et scientifique ; mais qu’on lui demande si dans une combinaison donnée, l’eau par exemple, l’oxygène et l’hydrogène existent en acte ou en puissance, il répondra sûrement qu’il ne sait pas ce dont on lui parle. Et si Aristote revenait de nos jours et apprenait la chimie moderne, il serait facile de le faire tomber, sur cette simple question, dans des contradictions flagrantes.

Ainsi le Stagirite a apporté dans ces notions une clarté relative seulement à l’époque où il vivait, et il ne faut pas plus faire remonter plus haut cette clarté qu’il ne faut la faire descendre trop près de ce que nous appelons nos lumières. Éd. Zeller a donc pleinement raison dans sa réfutation de Ritter ; mais à son tour il va trop loin quand il se refuse à voir dans le système d’Anaximandre aucune des conditions d’une physique mécanique. Est-il, par exemple, possible de dire, avec le savant historien, que la matière primitive du Milésien n’était pas, pour lui, une substance qualitativement déterminée ?

Comment ce concept abstrait d’une matière sans qualités aurait-il pu prendre racines dans l’esprit d’un physicien à l’imagination aussi vive et aussi nette ?

D’après l’exposé de sa doctrine, il ne semble pas qu’il puisse y avoir doute à cet égard ; Anaximandre devait se figurer d’une certaine façon son mélange général, et ce ne pouvait guère être que sous l’état d’un fluide aériforme chargé de vapeur d’eau ; c’est ce qu’indiquent, du moins, dans sa cosmographie, les dimensions très restreintes de la terre et de la mer par rapport à la masse d’air qui les enveloppe jusqu’au ciel. Anaximène n’aurait donc fait que conserver sa doctrine à cet égard, et l’on doit rejeter la donnée péripatéticienne (De Melisso, 975 b) d’après laquelle la forme primitive de l’univers aurait été l’eau pour Anaximandre