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LE RÉGIME MODERNE


« totale de chaque associé, avec tous ses droits, à la communauté, chacun se donnant tout entier, tel qu’il se trouve actuellement, lui et toutes ses forces dont les biens qu’il possède font partie », chacun devenant, à l’égard de lui-même et pour tous les actes de sa vie privée, un délégué de l’État, un commis responsable, bref un fonctionnaire, un fonctionnaire du peuple, qui est dorénavant l’unique, l’absolu et l’universel souverain. Terrible principe, proclamé et appliqué pendant dix ans, d’en bas par l’émeute, et d’en haut par le gouvernement. L’opinion populaire l’avait adopté ; aussi bien, de la souveraineté du roi à la souveraineté du peuple, le passage était aisé, glissant[1], et, pour le rai-

  1. L’opinion, ou plutôt la résignation qui confère l’omnipotence au pouvoir central, remonte à la seconde moitié du XVe siècle, après la guerre de Cent Ans, et elle est un effet de cette guerre : contre la conquête anglaise et les ravages des Écorcheurs, l’omnipotence du roi fut alors l’unique refuge. — Cf. Fortescue, In leges Angliæ, et the Difference between an absolute and a limited monarchy (fin du XVe siècle), sur la différence à cette date du gouvernement anglais et du gouvernement français. — Même jugement dans les dépêches des ambassadeurs vénitiens à la même date : « Tout en France est fondé sur la volonté du roi ; personne, quelles que soient les réclamations de sa conscience, n’aurait le courage d’exprimer une opinion contraire à la sienne. Les Français respectent tellement leur souverain, qu’ils sacrifieraient pour lui, non seulement leurs biens, mais encore leur âme. » (Janssen, l’Allemagne à la fin du moyen âge, I, 484.) — Quant au passage de l’idée monarchique à l’idée démocratique, on le voit nettement dans ces deux textes de Rétif de la Bretonne : « Je ne doutais nullement que le roi ne pût légalement obliger tout homme à me donner sa femme ou sa fille ; et tout mon village (Sacy, en Bourgogne) pensait comme moi. » (Monsieur Nicolas, I, 443.) — À propos des massacres de Septembre : « Non, je ne les plains pas, ces prêtres fanatiques… Quand une société ou sa majorité veut une chose, elle est juste. La minorité est tou-