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LE RÉGIME MODERNE


structure de ces corps et la structure de l’État sont différentes. — Unique en son genre, ayant seul l’épée, agissant de haut et de loin, par autorité et contrainte, l’État opère à la fois sur le territoire entier, par des lois uniformes, par des règlements impératifs et circonstanciés, par une hiérarchie de fonctionnaires obéissants qu’il maintient sous des consignes strictes. C’est pourquoi il est impropre aux besognes qui, pour être bien faites, exigent des ressorts et des procédés d’une autre espèce. Son ressort, tout extérieur, est insuffisant et trop faible pour soutenir et pousser les œuvres qui ont besoin d’un moteur interne, comme l’intérêt privé, le patriotisme local, les affections de famille, la curiosité scientifique, l’instinct de charité, la foi religieuse. Son procédé, tout mécanique, est trop rigide et trop borné pour faire marcher les entreprises qui demandent à l’entrepreneur le tact alerte et sûr, la souplesse de main, l’appréciation des circonstances, l’adaptation changeante des moyens au but, l’invention continue, l’initiative et l’indépendance. Partant l’État est mauvais chef de famille, mauvais industriel, agriculteur et commerçant, mauvais distributeur de travail et des subsistances, mauvais régulateur de la production, des échanges et de la consommation, médiocre administrateur de la province et de la commune, philanthrope sans discernement, directeur incompétent des beaux-arts, de la science, de l’enseignement et des cultes[1]. En tous ces offices, son action

  1. Exemples pour l’Angleterre dans les Essais de Herbert Spencer intitulés Over-legislation et Representative Government. Exemples