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LE RÉGIME MODERNE


« constances le favorisent. » — Sorti de l’École, en garnison à Valence et à Auxonne, il reste toujours dépaysé, hostile ; ses vieilles rancunes lui reviennent ; il veut les écrire et les adresse à Paoli[1] : « Je naquis, lui dit-il, quand la patrie périssait. Trente mille Français vomis sur nos côtes, noyant le trône de la liberté dans des flots de sang, tel fut le spectacle odieux qui vint frapper mes regards. Les cris des mourants, les gémissements de l’opprimé, les larmes du désespoir entourèrent mon berceau dès ma naissance… Je veux noircir du pinceau de l’infamie ceux qui ont trahi la cause commune…, les âmes viles que corrompit l’amour d’un gain sordide. » Un peu plus tard, sa lettre à Buttafuoco, député à la Constituante et principal agent de l’annexion française, est un long jet de haine concentrée et recuite, qui, contenue d’abord avec peine dans le sarcasme froid, finit par déborder, comme une lave surchauffée, et bouillonne en un torrent d’invectives brûlantes. Dès quinze ans, à l’École, puis au régiment[2], son imagination s’est réfugiée dans le passé de son île ; il le raconte ; il y habite d’esprit pendant plusieurs années ; il offre son livre à Paoli ; faute de pouvoir l’imprimer, il en tire un abrégé qu’il dédie à

  1. Yung, I, 193. (Lettre de Bonaparte à Paoli, 12 juin 1789.) — I, 250. (Lettre de Bonaparte à Buttafuoco, 23 janvier 1790.)
  2. Yung, I, 107. (Lettre de Napoléon à son père, 12 septembre 1784.) — I, 163. (Lettre de Napoléon à l’abbé Raynal, juillet 1786.) — I, 197. (Lettre de Napoléon à Paoli, 12 juin 1789.) Les trois lettres sur l’histoire de la Corse sont dédiées à l’abbé Raynal par une lettre du 24 juin 1790 ; on les trouvera dans Yung, I, 134.