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LE RÉGIME MODERNE


« Bonaparte à La Fayette[1], Siéyès n’avait mis partout que des ombres, ombre de pouvoir judiciaire, ombre de gouvernement. Il fallait bien de la « substance quelque part, et, ma foi, je l’ai mise là », dans le pouvoir exécutif.

Elle y est tout entière et dans sa main ; les autres autorités ne sont pour lui que des décors ou des outils[2]. Chaque année, les muets du Corps Législatif viennent à

  1. La Fayette, Mémoires t. II, 192.
  2. Pelet de la Lozère, Opinions de Napoléon au Conseil d’État, 63 : « Le Sénat se trompe, s’il croit avoir un caractère national et représentatif. Ce n’est qu’une autorité constituée, qui émane du gouvernement comme les autres. » (1804.) — Ib., 147 : « Il ne doit pas être au pouvoir d’un Corps Législatif d’arrêter le gouvernement par le refus de l’impôt : les impôts, une fois établis, doivent pouvoir être levés par de simples décrets. La Cour de Cassation regarde mes décrets comme des lois ; sans cela il n’y aurait pas de gouvernement » (9 janvier 1808). — Ib., 149 : « Si j’avais jamais à craindre le Sénat, il me suffirait d’y jeter une cinquantaine de jeunes conseillers d’État. » (1er  décembre 1803.) — Ib., 150 : « Si une opposition se formait dans le sein du Corps Législatif, j’aurais recours au Sénat pour le proroger, le changer ou le casser. » (29 mars 1806.) — Ib., 151 : « Il y a maintenant chaque année 60 législateurs sortants, dont on ne sait que faire : ceux qui ne sont point placés vont porter leur bouderie dans leurs départements. Je voudrais des propriétaires âgés, mariés en quelque sorte à l’État par leur famille ou leur profession, attachés par quelque lien à la chose publique. Ces hommes viendraient tous les ans à Paris, parleraient à l’Empereur dans son cercle, seraient contents de cette petite portion de gloriole jetée dans la monotonie de leur vie. » (Même date.) — Cf. Thibaudeau, Mémoires sur le Consulat, ch. XIII, et M. de Metternich, Mémoires, I, 120 (Paroles de Napoléon à Dresde, printemps de 1812) : « Je donnerai une organisation nouvelle au Sénat et au Conseil d’État. Le premier remplacera la Chambre haute, le second celle des Députés. Je continuerai à nommer à toutes les places de sénateurs ; je ferai élire un tiers du Conseil d’État sur des listes triples ; le reste je le nommerai. C’est là que se