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NAPOLÉON BONAPARTE


« leurs enfants, leur demandant en termes crus si elles les ont nourris elles-mêmes, ou les admonestant sur leurs relations de société. » C’est pourquoi « il n’y en a pas une[1] qui ne soit charmée de le voir s’éloigner de la place où elle est ». — Quelquefois il s’amuse à les déconcerter ; il est médisant et railleur avec elles, en face, à bout portant, comme un colonel avec ses cantinières. « Oui, mesdames, leur dit-il, vous occupez les bons habitants du faubourg Saint-Germain ; ils disent, par exemple, que, vous, madame A…, vous avez telle liaison avec M. B… ; vous, madame C…, avec M. D… » Si, par des rapports de police, il découvre une intrigue, « il ne tarde guère à mettre le mari au courant de ce qui se passe ». — Sur ses propres fantaisies[2], il n’est pas moins indiscret ; ayant brusqué le dénouement, il divulgue le fait et dit le nom : bien mieux, il avertit Joséphine, lui donne des détails intimes et ne tolère pas qu’elle se plaigne. « J’ai le

  1. Mme de Rémusat, II, 77, 169. — Thibaudeau, Mémoires sur le Consulat, 18 : « Il leur faisait quelquefois de mauvais compliments sur leur toilette ou sur leurs aventures ; c’était sa manière de censurer les mœurs. » — Mes souvenirs sur Napoléon, 322, par le comte Chaptal. « Dans une fête à l’Hôtel de Ville, il répondit à Mme…, qui venait de lui dire son nom : Ah bon Dieu ! on m’avait dit que vous étiez jolie ! » — À des vieillards : « Vous n’avez pas longtemps à vivre. » — À une autre dame : « C’est un beau temps pour vous que les campagnes de votre mari. » — « En général, Bonaparte avait le ton d’un jeune lieutenant mal élevé. Souvent il invitait douze ou quinze personnes à dîner, et il se levait de table avant qu’on eût mangé la soupe… La cour était une vraie galère où chacun ramait selon l’ordonnance. »
  2. Mme de Rémusat, I, 114, 122, 206 ; II, 110, 112.


  le régime moderne, i.
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