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NAPOLÉON BONAPARTE


sales besognes ; si calleuse que soit sa conscience, il s’y rencontre un endroit sensible ; il parvient à se découvrir des scrupules. C’est avec répugnance qu’il exécute, en février 1814, l’ordre de préparer secrètement une petite machine infernale, à mouvement d’horlogerie, pour faire sauter les Bourbons rentrés en France[1] : « Ah ! disait-il en portant la main à son front, il faut convenir que l’Empereur est parfois bien difficile à servir ! »

S’il exige tant de la créature humaine, c’est que, pour le jeu qu’il joue, il a besoin de tout prendre : dans la situation qu’il s’est faite, il n’a pas de ménagements à garder : « Un homme d’État[2], dit-il, est-il fait pour être sensible ? N’est-ce pas un personnage complètement excentrique, toujours seul d’un côté, avec le monde de l’autre ? » Dans ce duel sans trêve ni merci, les gens ne l’intéressent que par l’usage qu’il peut faire d’eux ; toute leur valeur pour lui est dans le profit qu’il en tire ; son unique affaire consiste à exprimer, à extraire, jusqu’à la dernière goutte, toute l’utilité qu’ils comportent : « Je ne m’amuse guère aux sentiments inutiles, disait-il encore[3], et Berthier est si médiocre que je ne sais pourquoi je m’amuserais à l’aimer. Et cependant, quand rien ne m’en détourne, je crois que

    300 millions de billets de la Banque de Vienne et je vous en inondais… Je vous remettrai les faux billets. » — Ib., Correspondance de M. de Metternich avec M. de Champagny à ce sujet (juin 1810).

  1. Souvenirs inédits du chancelier Pasquier, IV, 2.
  2. Mme de Rémusat, II, 335.
  3. Ib., I, 231.