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LES GOUVERNANTS


tout de suite, et sans vergogne ; car chaque détenu, obligé de déclarer, avec son nom et sa qualité, sa fortune, telle qu’elle est maintenant et telle qu’elle était avant la Révolution, fournit aux cupidités locales un objet précis, connu, certain, direct et palpable. — À Toulouse, dit un prisonnier[1], « le détail et la valeur de chaque objet étaient inscrits comme pour une succession », et les commissaires qui dressaient le tableau, « nos assassins, d’avance et presque sous nos yeux, procédaient au partage, se disputaient sur la convenance et le choix, comparaient le prix de l’adjudication avec les moyens de le diminuer et de l’affaiblir, parlaient des profits certains de la revente et de la cession, dévoraient d’avance les épingles ou pots-de-vin des ventes ou baux à ferme ». — En Provence, où la maturité et la corruption sont plus précoces qu’ailleurs, où le sens et la portée de la Révolution ont dès l’abord été compris, c’est pis encore ; nulle part, le personnel jacobin n’affiche si impudemment son caractère intime, et nulle part, de 1789 à 1799, ce caractère ne s’est si bien soutenu. À Toulon, les démagogues sont, en l’an V comme en l’an II[2], « d’anciens ouvriers et commis de l’arsenal devenus maîtres par délation et terreur ; des détenteurs gratuits ou des acquéreurs à vil prix et par menées des biens natio-

  1. Tableau des prisons de Toulouse, 184 (Visite du 27 ventôse an II).
  2. Archives nationales F7. 7164 (Département du Var : « Idée générale et appréciation, avec détails sur chaque canton, » an V).