Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 8, 1904.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
74
LA RÉVOLUTION


mains pour remplir leurs poches. Et le péril auquel ils s’exposent est petit, car ils ne sont contrôlés que par leurs pareils, ou ne sont pas contrôlés du tout. Dans telle grande ville[1], il leur suffit d’être deux pour décerner un mandat d’arrêt, sauf à en référer au comité central dans les vingt-quatre heures, et l’on peut être certain que leurs collègues se montreront complaisants, à charge de retour. D’ailleurs les habiles savent se garantir d’avance. — Par exemple, à Bordeaux, où l’un de ces marchés clandestins s’est établi, M. Jean Davil-

  1. Archives nationales, AF, II, 107 (Arrêtés des représentants Ysabeau et Tallien, Bordeaux, 11 et 17 brumaire an II. — Troisième arrêté des mêmes, 2 frimaire an II, remplaçant ce comité par un autre de 12 membres et 6 adjoints, chacun à 200 francs par mois. — Quatrième arrêté, 16 pluviôse an II, destituant les membres du précédent comité, comme exagérés et désobéissants. — C’est qu’ils prenaient tout à fait au sérieux leur royauté locale. — Ib., AF, II, 46 (Extraits des séances du comité révolutionnaire de Bordeaux, prairial an II). Cet extrait de 18 pages montre en détail la cuisine intérieure d’un comité révolutionnaire. Le nombre des détenus va croissant ; il est de 1524 le 27 prairial. Le comité est, par essence, un bureau de police : il délivre des cartes de civisme, lance des mandats d’arrestation, correspond avec d’autres comités, même placés très loin, à Limoges, à Clermont-Ferrand, délègue tel ou tel de ses membres pour faire des enquêtes ou des visites domiciliaires, pour poser les scellés il reçoit et transmet les dénonciations, fait comparaître les gens dénoncés, etc. Exemple de ses mandats d’arrêt : « Muller, écuyer, sera mis en état d’arrestation, au ci-devant petit séminaire, comme suspect d’aristocratie, d’après l’opinion publique. » — Autre exemple (Archives nationales, F7, 2475. Registre des procès-verbaux du comité révolutionnaire de la section des Piques, Paris, 3 juin 1793). Mandat d’arrêt contre Boucher, épicier rue Neuve-du-Luxembourg, comme suspect d’incivisme et comme « ayant envers sa femme des intentions méchantes et perfides ». Boucher, arrêté, répond que « ce qu’il disait et faisait chez lui ne regardait personne. » Sur quoi, il est conduit en prison.