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LES GOUVERNANTS


« que j’ai exercé cette malheureuse place ». — Enfin, dans les villes moyennes ou grandes, la bagarre des destitutions collectives, le pêle-mêle des nominations improvisées et le renouvellement brusque du personnel entier ont précipité, bon gré mal gré, dans les administrations nombre de prétendus Jacobins, qui, au fond du cœur, sont Girondins ou Feuillants, mais qui, ayant trop péroré, se sont désignés aux places par leur bavardage, et désormais siègent à côté des pires Jacobins, dans les pires emplois. « Membres de la commission révolutionnaire de Feurs, ceux qui m’objectent cela, écrit un avocat de Clermont[1], se persuadent que les reclus ont été seuls terrifiés ; ils ne savent pas que personne peut-être ne ressentait plus violemment la terreur que ceux que l’on contraignait de se charger de l’exécution des décrets. Qu’on se rappelle que l’édit de Couthon, qui désignait un citoyen pour une place quelconque, portait, en cas de refus, la menace d’être déclaré suspect, menace qui donnait pour perspective la perte de la liberté et le séquestre des biens. Fus-je donc libre de refuser ? » — Une fois installé, l’homme est tenu d’opérer, et beaucoup de ceux qui opèrent laissent percer leurs répugnances : au mieux, on ne peut tirer d’eux qu’un service d’automate. « Avant de me rendre au tribunal, dit un juge de Cambrai[2], j’avalais un

  1. Marcelin Boudet, les Conventionnels d’Auvergne, 161 (Justification d’Étienne Bonarmé, derniers mois de 1794).
  2. Paris, Histoire de Joseph Lebon, II, 92 (Déclaration de Guérard, homme de loi, nommé juge à Cambrai par le comité révolutionnaire de Cambrai). — Ib., II, 54 (Déclaration de Lemirre,