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LES GOUVERNANTS


tembre, a purgé la Convention, le 2 juin ; bref, le fumeux Henriot, aujourd’hui simple soudard et soulard. En cette dernière qualité, malgré ses connivences avec Hébert et les Cordeliers, on l’a épargné dans le procès des exagérés. On l’a gardé comme instrument, sans doute parce qu’il est borné, brutal et maniable, plus compromis que personne, bon à tout faire, hors d’état de se rendre indépendant, sans services dans l’armée[1], sans prestige sur les vrais soldats, général intrus, de parade et de rue, plus populacier que la populace. Avec son hôtel, sa loge à l’Opéra-Comique, ses chevaux, son importance dans les fêtes et revues, surtout avec des orgies, il est content. — Le soir, en grand uniforme, escorté de ses aides de camp, il galope jusqu’à Choisy-sur-Seine, et là, dans la maison d’un complaisant, nommé Fauvel, avec des affidés de Robespierre ou des démagogues du lieu, il fait ripaille : on sable les vins du duc de Coigny, on casse les verres, les assiettes et les bouteilles, on va faire tapage dans les bastringues voisins, on y enfonce les portes, on brise les bancs et les chaises, bref on s’amuse. — Le lendemain, ayant cuvé son vin, il dicte ses ordres du jour, vrais chefs-d’œuvre, où la niaiserie de l’imbé-

  1. Comte de Martel, Types révolutionnaires, 136 à 144. — Le ministère de la guerre nomme Henriot général de brigade le 3 juillet 1793, général de division le 19 septembre, et lui demande en post-scriptum : « Veuillez bien me faire passer l’état de vos services, » inconnus au ministère parce qu’ils sont nuls. — Sur les orgies de Choisy-sur-Seine, voir (Archives nationales, W2 500-501) l’enquête des 18 et 19 thermidor an II. faite à Choisy-sur-Seine par Blache, agent du Comité de Sûreté générale. Boullanger, général de brigade premier lieutenant de Henriot, était un ex-compagnon joaillier.