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LES GOUVERNÉS


de riz à prendre dans ses propres magasins, de quoi manger une semaine. — Mais, en vérité, vivre ainsi, ce n’est pas vivre, c’est seulement ne pas mourir. Car, pour subsister, la moitié, plus de la moitié des habitants n’a que la ration de pain obtenue par elle à la queue et qu’on lui délivre à prix réduit. Quelle ration, et quel pain ! « Il paraît, écrit la municipalité de Troyes[1], qu’il y a un anathème prononcé dans les campagnes contre les villes. Autrefois, c’était le plus beau grain qui arrivait ; celui qui avait quelque défectuosité restait chez le cultivateur et se consommait dans sa maison. C’est le contraire actuellement, et plus encore ; car non seulement il ne nous livre pas le moindre froment, mais c’est l’orge germée et le seigle envergé qu’il réserve à notre commune ; celui qui n’en a pas s’arrange avec ceux qui en ont pour le leur acheter, le livrer à la ville, et vendre son froment ailleurs. » Une demi-livre par jour et par tête, en pluviôse, aux 13 000 ou 14 000 indigents de Troyes, puis un quart de livre, à la

  1. Archives nationales, D, § 1, carton 2 (Délibération de la commune de Troyes, 15 ventôse an III). — Un séjour en France (Amiens, 9 mai 1795). « Comme nous nous étions procuré quelques écus de 6 livres, nous avons pu nous procurer une petite provision de blé… M. D. et les domestiques mangent du pain fait avec les trois quarts de son et un quart de farine… Quand nous cuisons, les portes sont soigneusement fermées, la sonnette sonne en vain, aucun visiteur n’est admis jusqu’à ce que les moindres traces de l’opération soient effacées… Ce qu’on distribue maintenant est une mixture de blé germé, de pois, de seigle, etc., qui ressemble à peine à du pain. » — Ib. (12 avril) : « La distribution de pain n’était (alors) que d’un quart de livre par jour. Quantité de gens qui, à d’autres égards, étaient à leur aise, ne recevaient rien du tout. »