Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 8, 1904.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
292
LA RÉVOLUTION


« toutes les habitations un peu éloignées… Grains, farines, pain, bestiaux, volailles, toiles, etc., tout leur est bon ; nos bergers épouvantés ne veulent plus coucher aux parcs et nous quittent. » Les plus timides déterrent, la nuit, des carottes ou, pendant le jour, ramassent des pissenlits ; mais leur estomac de citadin ne digère pas cette pâture. « Ces jours derniers[1], écrit le procureur-syndic de Saint-Germain, le cadavre d’un père de famille trouvé dans les champs, la bouche encore remplie de l’herbe qu’il s’était efforcé de brouter, exaspère et soulève l’âme des malheureux qu’un pareil sort attend. »

Comment donc fait-on pour subsister à la ville ? — Dans les petites villes ou bourgades, chaque municipa-

  1. Archives nationales, AF, II, 70 (Lettre du procureur-syndic du district de Saint-Germain, 10 thermidor an III). — Ce carton, qui peint la situation des communes autour de Paris, est particulièrement navrant et terrible. Entre autres exemples de la misère des ouvriers, voici une pétition des trente-cinq ouvriers de la machine de Marly, 28 messidor an III : « Les ouvriers et les employés de la machine de Marly vous font part de la position fâcheuse où ils sont réduis par la cherté des vives, leurs médiocres journées, qui ne sont portées qu’à 5 livres 12 sous au plus, et encore que depuis quatre mois, car ils n’avaient que 2 livres 16 sous, ne pouvant pas leur produire une demie-livre de pain, puisqu’il vaut 15 à 16 francs la livre. Ces malheureux n’ont pas manqués de courage, ni de patience, dans l’espoir que le temps deviendrait plus favorable ; ils ont été réduis à vendre la plus grande partie de leurs effets et à manger du pain de son, dont l’échantillon est ci-joint, qui les incomode beaucoup ; la plupart sont malades et ceux qui ne le sont pas sont dans la plus grande faiblesse. » — Schmidt, Tableaux de Paris, 9 thermidor : « Sur le carreau de la Halle, les paysans se plaignaient très amèrement que l’on volait dans les champs et sur les routes, et qu’on crevait même les sacs. »