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LES GOUVERNÉS


la moitié de leurs contributions en nature, et notez qu’en ce temps-là les seules contributions directes prélèvent 12 à 13 sous par franc de revenu. Néanmoins, sous cette condition, qui est celle des laboureurs en pays musulman, le paysan français, comme le paysan syrien ou tunisien, peut subsister ; car, par l’abolition du maximum, les transactions privées sont redevenues libres, et de ce côté il se dédommage. Comme il vend aux particuliers et même aux villes[1] de gré à gré, à conditions débattues, il leur vend aussi cher qu’il veut, d’autant plus cher que les réquisitions légales ont à demi vidé les granges, et qu’il y a moins de sacs pour plus d’acheteurs ; partant, ce qu’il perd avec le gouvernement, il le regagne sur les particuliers ; en somme, il a du bénéfice, et voilà pourquoi il persiste à cultiver.

Mais tout ce poids dont il s’allège retombe sur l’acheteur accablé, et, par un autre effet de l’institution révolutionnaire, ce poids, déjà énorme, va s’alourdissant jusqu’au décuple, puis jusqu’au centuple. — En effet, la seule monnaie que les particuliers ont dans les mains se fond dans leurs mains et s’anéantit d’elle-même. Sitôt que la guillotine a cessé de jouer, l’assignat, déchu de sa valeur factice, est descendu à sa valeur réelle. En août 1794, il perd 66 pour 100 ; en octobre 72 ; en décembre

  1. Archives nationales, AF, II. Lettre du district de Bar-sur-Seine, 14 ventôse an III. Depuis l’abolition du maximum, « les habitants font des voyages de trente à quarante lieues, pour acheter du blé ». — Lettre de la municipalité de Troyes, 15 ventôse : « D’après le prix des grains que nous continuons à acheter de gré à gré le pain coûtera quinze sous (la livre), la décade prochaine ».