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LES GOUVERNÉS


quand le temps est beau, sinon debout sur leurs jambes raidies et flageolantes, en hiver surtout, « le dos sous la pluie » et les pieds dans la neige, pendant tant de longues heures, dans les rues noires, infectes, à peine éclairées, encombrées d’immondices ; car, faute d’huile, on a éteint la moitié des réverbères ; faute d’argent, on ne repave plus, on ne balaye plus, les fumiers s’entassent le long des murailles[1]. La foule y patauge, elle-même aussi sale, dépenaillée, en souliers éculés et troués, puisque les cordonniers ne travaillent plus pour les particuliers, en linge crasseux, puisqu’il n’y a plus de savon pour blanchir ; et, au moral comme au physique, tous ces déguenillés qui se coudoient achèvent de se salir les uns les autres. — La promiscuité, le contact, l’ennui, l’attente et la nuit lâchent la bride aux instincts grossiers ; en été surtout, la bestialité humaine et la polissonnerie parisienne se donnent carrière. « Des filles du monde[2] », à

    de trouver des hommes et des femmes couchés le long des maisons, et attendant sans bruit l’ouverture des boutiques. » — Dauban, 231 (Rapport du 24 ventôse). À la tuerie des cochons, près du Jardin des Plantes, « pour obtenir une fressure, au taux de 3 fr. 10, au lieu de trente sous comme autrefois, les femmes couchées par terre, avec leur petit panier, font des stations de quatre à cinq heures ».

  1. Archives nationales, F7, 31167 (Rapports des 9 et 28 nivôse) : « Les rues de Paris sont toujours abominables ; on craint sûrement d’user les balets (sic). » — Dauban, 120 (9 ventôse) : « La rue Sainte-Anne est encombrée de fumiers dans la partie qui avoisine la rue Louvois, il y en a des tas le long des murs, qui y séjournent depuis quinze jours. »
  2. Archives des affaires étrangères, tome 1411 (Rapports du 9 août 1793). — Mercier, I, 353. — Dauban, 530 (Rapports du 27