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LA RÉVOLUTION


sentiment n’a été froissé qu’à moitié, et on l’a froissé surtout dans la classe aisée ou riche ; partant on n’a détruit que la moitié de son énergie utile, et l’on s’est privé surtout des services que rend la classe riche ou aisée ; on n’a guère supprimé que le travail du capitaliste, du propriétaire et de l’entrepreneur, le travail en grand, prévoyant, combiné, et ses produits, qui sont les objets de luxe, les objets de commodité, et la présence universelle, la répartition facile, la distribution spontanée des denrées indispensables. Reste à écraser les portions survivantes de la fibre laborieuse et nourricière, à détruire le reste de son énergie utile, à l’extirper jusque dans le peuple, à supprimer, autant qu’il se pourra, le travail en petit, manuel, grossier et ses produits rudimentaires, à décourager le boutiquier infime, l’artisan et le laboureur, jusqu’à ôter à l’épicier du coin l’envie de vendre sa cassonade et ses chandelles, et au cordonnier du coin l’envie de faire des souliers, jusqu’à donner au meunier l’idée de déserter son moulin, au charretier l’envie d’abandonner sa charrette, jusqu’à persuader au fermier que désormais, pour lui, la sagesse consiste à se défaire de ses chevaux, à manger lui-même son porc[1],

    tième dans le total de la force qui produit les actions humaines. Encore faut-il noter que, lorsqu’ils agissent, c’est au moyen d’un alliage, par l’adjonction de motifs de moindre aloi, qui sont le désir de la gloire, le besoin de s’admirer et de s’approuver soi-même, la crainte d’un châtiment et l’espoir d’une récompense dans la vie d’outre-tombe, tous motifs intéressés et sans lesquels les motifs désintéressés n’auraient pas d’effet, sauf dans deux ou trois âmes sur mille.

  1. Archives nationales, D, § I, carton 2 (Lettre de Joffroy,