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LES GOUVERNÉS


le joug ; se distinguer, avoir de l’esprit et de l’honneur, appartenir à l’élite, c’est être contre-révolutionnaire. — À la Société populaire de Bourg-en-Bresse[1], le représentant Javogues déclarait que « la République ne pourrait s’établir que sur le cadavre du dernier des honnêtes gens. »

X

Voici donc, d’un côté, hors du droit commun, en exil, en prison, sous les piques, sur l’échafaud, l’élite de la France, presque tous les gens de race, de rang, de fortune, de mérite, les notables de l’intelligence et de la culture, du talent et de la vertu ; et voilà, de l’autre côté, au-dessus du droit commun, dans les dignités et dans l’omnipotence, dans la dictature irresponsable, dans les proconsulats arbitraires, dans la souveraineté judiciaire, un ramassis de déclassés de toutes les classes, les parvenus de l’infatuation, du charlatanisme, de la brutalité et du crime. Souvent, par l’accolement des personnages, le contraste des gouvernés et des gouvernants éclate avec un relief si fort, qu’on le croirait calculé et voulu ; pour le représenter, il faudrait, non pas des mots, mais des couleurs physiques et les coups de pinceau d’un peintre. — À l’ouest de Paris, dans la prison de la rue de Sèvres[2], les détenus entassés sont les premiers personnages du quartier Saint-Germain, pré-

  1. Guillon de Montléon, II, 274
  2. Mémoires sur les prisons, I, 211 ; II, 187. — Beaulieu, Essais, V, 320 : « Les prisons étaient devenues le rendez-vous de la bonne compagnie ».


  la révolution, vi.
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