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LA RÉVOLUTION


total du pays, bêtes et gens, bâtiments, moissons, cultures et jusqu’aux arbres, il y a des cantons et même des provinces où c’est toute la population rurale et ouvrière que l’on arrête ou qui s’enfuit : dans les Pyrénées, les vieilles peuplades basques, « arrachées à leur sol natal, entassées dans les églises, sans autres subsistances que celles de la charité », au cœur de l’hiver, si bien que 1600 détenus meurent, « la plupart de froid et de faim[1] » ; à Bédouin, ville de 2000 âmes, où des inconnus ont abattu l’arbre de la Liberté, quatre cent trente-trois maisons démolies ou incendiées, seize guillotinés, quarante-sept fusillés, tous les autres habitants expulsés, réduits à vivre « en vagabonds dans la montagne et à s’abriter dans des cavernes qu’ils creusent en terre[2] » ; en Alsace, 50 000 cultivateurs qui, pendant l’hiver de 1793, se sauvent, avec femmes et enfants, au delà du Rhin[3]. — Bref l’opération révolution-

  1. Meillan, Mémoires, 166.
  2. Berryat-Saint-Prix, la Justice révolutionnaire, 419. — Archives nationales, AF, II, 145 (Arrêtés du représentant Maignet, 14, 15, 17 floréal an II). — Le tribunal criminel jugera et fera exécuter les principaux coupables ; les autres habitants évacueront, dans les vingt-quatre heures, leurs maisons en emportant leurs meubles. Puis toute la ville sera brûlée. Défense d’y reconstruire ou de cultiver le sol. Les habitants seront répartis dans les communes voisines ; défense à chacun d’eux de quitter la commune qui lui est assignée, sous peine d’être traité en émigré ; ordre d’y comparaître une fois par décade, devant la municipalité, sous peine d’être déclaré suspect et incarcéré, etc.
  3. Recueil de pièces, etc., I, 52 (Arrêté de Baudot et Lacoste, 6 pluviôse an II) : « Considérant qu’on ne pourrait se procurer de jurés dans une étendue de cent lieues, dont les deux tiers des habitants ont émigré… ». — Moniteur, 28 et 29 août 1797 (Rapport d’Harmand de la Meuse). — Ib., XIX, 714 (séance du