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LES GOUVERNÉS


de commerce, leur outillage et leur clientèle, c’est-à-dire des avances et du crédit, n’étant pas réduits à vivre au jour le jour, partant ayant un commencement d’indépendance et même d’autorité, bref les contremaîtres de l’atelier social, les sergents et caporaux de l’armée sociale. — Eux non plus, ils n’étaient pas indignes de leur grade. Dans la communauté de village ou de métier, le syndic, élu par ses pareils et ses voisins, n’était point nommé à l’aveugle ; à son endroit tous ses électeurs étaient compétents : paysans, ils l’avaient vu travailler à sa terre ; forgerons ou menuisiers, ils l’avaient vu travailler à sa forge ou à son établi. Et, comme il s’agissait pour eux de leurs intérêts directs, présents et palpables, ils le choisissaient au mieux de leurs intérêts, non pas sur une recommandation de journal, sur une profession de foi emphatique et vague, sur de grandes phrases creuses, mais d’après leur expérience personnelle et la connaissance approfondie qu’ils avaient de lui. L’homme que le village députait chez l’intendant, ou que la corporation déléguait à l’hôtel de ville était à l’ordinaire le plus capable et le plus autorisé de la corporation ou du village, probablement l’un de ceux qui, par leur travail, leur intelligence, leur probité et leur économie, avaient le mieux prospéré, quelque maître artisan ou laboureur, instruit par de longues années de pratique, au fait des détails et des précédents, de bon jugement et de bonne réputation, ayant plus d’intérêt qu’un autre à soutenir les intérêts de la communauté et plus de