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LES GOUVERNÉS


était à peu près aussi indispensable au village que la fontaine publique ; lui aussi, il étanchait une soif, la soif de l’âme ; hors de lui, il n’y avait point d’eau potable pour les habitants. — Et, si l’on tient compte de la faiblesse humaine, on peut dire que dans ce clergé la noblesse du caractère répondait à la noblesse de la profession : à tout le moins, personne ne pouvait lui contester la capacité du sacrifice ; car il souffrait volontairement pour ce qu’il croyait la vérité. Si nombre de prêtres, en 1790, avaient prêté serment à la constitution civile du clergé, c’était avec des réserves, ou parcequ’ils jugeaient le serment licite ; mais, après la destitution des évêques et la désapprobation du pape, beaucoup s’étaient rétractés, au péril de leur vie, pour ne pas tomber dans le schisme ; ils étaient rentrés dans les rangs, ils étaient venus, d’eux-mêmes, se livrer aux brutalités de la foule et à la rigueur des lois. En outre, et dès l’origine, malgré tant de menaces et de tentations, les deux tiers du clergé n’avaient pas voulu jurer ; dans les très hauts rangs, parmi les ecclésiastiques mondains dont le scepticisme et le relâchement étaient notoires, l’honneur, à défaut de la foi, avait maintenu le même courage ; presque tous, grands et petits, avaient subordonné leurs intérêts, leur sécurité, leur salut au soin de leur dignité ou aux scrupules de leur conscience. Ils s’étaient laissé dépouiller ; ils se laissaient exiler, emprisonner, supplicier, martyriser, comme les chrétiens de l’Église primitive ; par leur invincible douceur, ils allaient, comme les chrétiens de l’Église primitive,