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LES GOUVERNANTS


inférieure, dégradées par l’esclavage et perverties par la licence. — Tel est, du haut en bas de l’échelle, à tous les degrés de l’autorité et de l’obéissance, le personnel du gouvernement révolutionnaire[1]. Par son recrutement et son emploi, par ses mœurs et ses actes, il évoque devant la mémoire l’image presque oubliée de ses prédécesseurs ; car il en a eu, au quatorzième, au seizième, au dix-septième siècle. En ce temps-là aussi, la société était parfois conquise et saccagée par ses barbares ; les nomades dangereux, les déclassés malfaisants, les bandits devenus soldats s’abattaient tout d’un coup sur une population industrieuse et paisible. Ainsi faisaient, en France, les Routiers et les Tard-venus ; à Rome, l’armée du connétable de Bourbon ; en Flandre, les bandes du duc d’Albe et du duc de Parme ; en Westphalie et en Alsace, les soudards de Wallenstein et de Bernard de Saxe-Weimar. Ils vivaient sur une ville ou sur une pro-

  1. Sauzay, Histoire de la persécution révolutionnaire dans le département du Doubs, VII, 687 (Lettre de Grégoire le conventionnel, 24 décembre 1790) : « Un calcul approximatif élève au nombre de 300 000 les auteurs de tant de forfaits ; car chaque commune avait à peu près cinq ou six bêtes féroces qui, sous le nom de Brutus, ont perfectionné l’art de lever les scellés, de noyer, d’égorger. Ils ont dévoré des sommes immenses, pour bâtir des Montagnes, payer des orgies, et célébrer trois fois par mois des fêtes, qui, après une première représentation, étaient devenues des parodies où figuraient deux ou trois acteurs, sans spectateurs. Elles n’étaient plus composées à la fin que du tambour et de l’officier municipal ; encore celui-ci, tout honteux, cachait-il souvent son écharpe dans sa poche, en allant au temple de la Raison… Mais ces 300 000 brigands avaient pour directeurs deux ou trois cents membres de la Convention nationale, qu’il faut bien n’appeler que scélérats, puisque la langue n’offre aucune épithète plus énergique. »