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LE GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


Tinville, Hermann, Dumas, Payan, Coffinhal, Fleuriot-Lescot, au-dessous d’eux, des prêtres apostats, des nobles renégats, des artistes ratés, des rapins affolés, des manœuvres qui savent à peine écrire, menuisiers, cordonniers, charpentiers, tailleurs, coiffeurs, anciens laquais, un idiot comme Ganney, un sourd comme Leroy-Dix-Août : leurs noms et leurs qualités en disent assez ; ce sont des meurtriers patentés et soldés ; aux jurés eux-mêmes, on alloue dix-huit francs par jour, pour qu’ils aient plus de cœur à leur besogne. Cette besogne consiste à condamner sans preuves, sans plaidoiries, presque sans interrogatoire, à la hâte, par fournées, tout ce que le Comité de Salut public leur expédie, même les Montagnards les plus avérés : Danton, l’inventeur du tribunal, s’en apercevra tout à l’heure. — Par ces deux engins de gouvernement, le Comité de Salut public tient chaque tête sous son couperet, et chaque tête, pour ne pas tomber, se courbe[1], en province comme à Paris.

    rial, il fut menacé par Dumas d’être arrêté. Si nous avions donné notre démission, dit-il, Dumas nous eût fait guillotiner. »

  1. Moniteur, XXIV, 12 (séance du 29 ventôse an III, discours de Bailleul). « La terreur domptait tous les esprits, comprimait tous les cœurs ; elle était la force du gouvernement, et ce gouvernement était tel que les nombreux habitants d’un vaste territoire semblaient avoir perdu les qualités qui distinguent l’homme de l’animal domestique. Ils semblaient même n’avoir de vie que ce que le gouvernement voulait bien leur accorder. Le moi humain n’existait plus ; chaque individu n’était qu’une machine allant, venant, pensant ou ne pensant pas, selon que la tyrannie le poussait ou l’animait. »