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LE GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


Saint-Just apporte le projet est celui par lequel une oligarchie d’envahisseurs s’installe et se maintient dans une nation subjuguée. Par ce régime, en Grèce, 10 000 Spartiates, après l’invasion dorienne, ont maîtrisé 300 000 Ilotes et Périœques. Par ce régime, en Angleterre, 60 000 Normands, après la bataille d’Hastings, ont maîtrisé deux millions de Saxons. Par ce régime, en Irlande, après la bataille de la Boyne, 200 000 Anglais protestants ont maîtrisé un million d’Irlandais catholiques. Par ce régime, les 300 000 Jacobins de France pourront maîtriser les six ou sept millions de Girondins, Feuillants, royalistes ou indifférents.

Il est très simple, et consiste à maintenir la population sujette dans l’extrême faiblesse et dans l’extrême terreur. À cet effet, on la désarme[1], on la tient en sur-

    « En créant les comités révolutionnaires, on a voulu établir une espèce de dictature des citoyens les plus dévoués à la liberté sur ceux qui se sont rendus suspects. »

  1. Mallet du Pan, II, 8 (février 1794) : « En ce moment, le peuple entier est désarmé. Il ne reste pas un fusil ni dans les villes ni dans les campagnes. Si quelque chose atteste la puissance surnaturelle dont jouissent les meneurs de la Convention, c’est de voir en un instant, par un seul acte de leur volonté, et sans que personne ose leur résister ni s’en plaindre, la nation ramenée, de Perpignan à Lille, à la privation de toute défense contre l’oppression, avec une facilité plus inouïe que celle dont se fit en 1789 l’armement universel du royaume. » — A residence in France, II, 409 : « La garde nationale, en tant qu’institution régulière, a été en grande partie supprimée depuis l’été de 1793, et ceux qui la composaient ont été désarmés graduellement. On continuait à monter la garde ; mais les citoyens qui faisaient ce service étaient, à très peu d’exceptions, armés seulement de piques, et encore on ne les leur confiait point à demeure.