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LA RÉVOLUTION


déclamatoire et calomnieux qui dure deux heures, il lit deux listes de proscription : quarante-cinq députés plus ou moins marquants de la Gironde seront traduits sur-le-champ au Tribunal révolutionnaire ; soixante-treize autres, qui ont signé des protestations secrètes contre le 31 mai et le 2 juin, seront enfermés dans des maisons d’arrêt. Nulle discussion ; la majorité n’ose pas même opiner. Quelques-uns des proscrits essayent de se disculper ; mais on refuse de les entendre. Seuls les Montagnards ont la parole, et ils ne s’en servent que pour ajouter aux listes, chacun selon ses inimitiés personnelles : Levasseur y fait adjoindre Viger ; Du Roy y fait adjoindre Richou. Sur l’appel de leurs noms, tous les malheureux présents viennent docilement « se parquer dans l’enceinte de la barre, comme des agneaux destinés à la boucherie » ; et là, on les divise en deux troupes, d’un côté les soixante-treize, de l’autre côté les dix ou douze qui, avec les Girondins déjà gardés sous les verrous, fourniront le nombre sacramentel et populaire, les vingt-deux traîtres[1] dont le supplice est un besoin pour l’imagination jacobine ; à gauche, la fournée de la prison ; à droite, la fournée de l’échafaud.

Pour quiconque serait tenté de les imiter ou de les défendre, la façon dont on les traite est une leçon suffisante. — À travers les vociférations et les injures des mégères apostées sur leur chemin[2], les soixante-treize

  1. En réalité, le nombre des députés traduits au Tribunal révolutionnaire ne fut que de 21.
  2. Dauban, Ib., 440 (Récit de Blanqui, l’un des 73}