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PRÉFACE


faisante et de mangeur d’hommes qu’il est devenu dieu. — Cela compris, on n’est plus troublé par les formules qui le consacrent, ni par la pompe qui l’entoure ; on peut l’observer, comme un animal ordinaire, le suivre dans ses diverses attitudes, quand il s’embusque, quand il agrippe, quand il mâche, quand il avale, quand il digère. J’ai étudié en détail la structure et le jeu de ses organes, noté son régime et ses mœurs, constaté ses instincts, ses facultés, ses appétits. — Les sujets abondaient ; j’en ai manié des milliers et disséqué des centaines, de toutes les espèces et variétés, en réservant les spécimens notables ou les pièces caractéristiques. Mais, faute de place, j’ai dû en abandonner beaucoup ; ma collection était trop ample. On trouvera ici ce que j’ai pu rapporter, entre autres une vingtaine d’individus de plusieurs tailles, que je me suis efforcé de conserver vivants, chose difficile ; du moins, ils sont intacts et complets, surtout les trois plus gros, qui, dans leur genre, me semblent des animaux vraiment remarquables, et tels que la divinité du temps ne pouvait s’incarner mieux. — Des livres de cuisine authentiques et assez bien tenus nous renseignent sur les frais du culte : on peut évaluer à peu près ce que les crocodiles sacrés ont mangé en dix ans, dire leur menu ordinaire, leurs morceaux préférés. Naturellement, le dieu choisissait les victimes grasses ; mais sa voracité était si grande, que,