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LE GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE

« saisis d’un esprit prophétique, » promettaient à la Constitution l’éternité. Ils se sentent « renaître avec le genre humain », ils s’envisagent comme les créateurs d’un nouveau monde ; l’histoire se consomme en eux, l’avenir est dans leurs mains ; ils se croient des dieux sur la terre. En cet état de crise, leur raison, comme une balance détraquée, est à la merci d’une chiquenaude ; sous la poussée des fabricants d’enthousiasme, un revirement brusque va les emporter. Ils considéraient la Constitution comme une panacée, et ils vont la reléguer comme une drogue dangereuse dans ce coffre qu’on appelle une arche. Ils viennent de proclamer la liberté du peuple, et ils vont perpétuer la dictature de la Convention.

VI

Bien entendu, il faut que la volte-face semble spontanée et qu’on n’y voie point la main des gouvernants en titre : selon l’usage des usurpateurs, la Convention va simuler la réserve et le désintéressement. — En conséquence, le lendemain, le 11 août, dès l’ouverture de sa séance, elle se laisse dire que « sa mission est remplie[1] » ; sur la motion de Lacroix, affidé de Danton, elle décrète que, dans le plus bref délai, on fera le recensement de la population et des électeurs, afin de convoquer au plus tôt les assemblées primaires ; elle accueille avec transport les délégués qui lui rapportent l’arche constitution-

  1. Moniteur, XVII, 366 (séance du 11 août, discours de Lacroix et décret conforme).