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LA RÉVOLUTION


— Le mot est lâché ; mais c’est un roi effaré, qui ne rêve que conspirations[1], et voit dans la rue, en plein jour, les passants comploter contre lui par mots ou par signes. Rencontrant dans la grande rue d’Arras une jeune fille et sa mère qui parlent flamand, cela lui semble suspect. Il dit à la jeune fille : « Où vas-tu ? — Qu’est-ce que cela vous fait ? » répond l’enfant, qui ne le connaît pas. En prison la fille, la mère et le père[2]. — Sur les remparts, une autre jeune fille, accompagnée de sa mère, prenait l’air, lisait. « Donne ce livre », dit le représentant. La mère le donne : c’est l’Histoire de Clarisse Harlowe, et la jeune fille, étendant la main pour reprendre son livre, ajoute, sans doute avec un sourire : « Celui-là n’est pas suspect. » Lebon la renverse d’un coup de poing dans l’estomac, fait fouiller les deux femmes et, de sa personne, les conduit au poste. — Le moindre mot, un geste, le mettent hors de lui ; à l’aspect d’un mouvement qu’il ne comprend pas, il sursaute, comme sous un choc électrique. Nouveau venu à Cambrai, on lui annonce qu’une femme, ayant vendu une bouteille de vin au-dessus du maximum, vient d’être relâchée après procès-verbal ; il arrive à l’hôtel de ville et crie : « Que tous ceux qui sont ici passent au consistoire ! » L’officier municipal de service

  1. Moniteur, XXV, 201 (séance du 22 messidor an III), paroles de Lebon : « Quand, à la tribune (de la Convention), on annonçait des conspirations de prisons…, je ne rêvais plus que conspirations de prisons. »
  2. Ib., 211 (Explications de Lebon à la Convention). — Paris, II, 350, 351 (verdict du jury).