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LES GOUVERNANTS


où il eût jadis prêché en soutane râpée, il leur étale sa métamorphose : « Qui aurait cru que je reviendrais ici représentant du peuple avec des pouvoirs illimités[1] ! » Et que, devant cette majesté postiche, chacun soit humble, plie et se taise. — À un membre de la municipalité de Cambrai qui, interpellé par lui, n’a pas baissé les yeux, qui lui a répondu brièvement, qui, à une question posée deux fois dans les mêmes termes, a osé répondre deux fois dans les mêmes termes, « Tais-toi ; tu me despectes[2], tu manques à la réprésentation nationale ». Séance tenante, il destitue l’homme, l’envoie en prison. — Un soir, au théâtre, il entre dans une loge, et les dames qui sont assises sur le devant ne se lèvent pas. Furieux, il sort, s’élance sur le théâtre, et, tirant son grand sabre, vociférant, menaçant toute la salle, il arpente les planches avec des bonds, des gestes, une physionomie de bête échappée, tellement que plusieurs femmes se trouvent mal. « Voyez-vous, hurle-t-il, ces muscadines qui ne daignent pas se déranger pour un représentant de vingt-cinq millions d’hommes ! Autrefois, pour un prince, tout le monde eût fait place ; elles ne bougeront pas pour moi, représentant, qui suis plus qu’un roi[3] ! »

  1. Paris, I, 123. Discours de Lebon dans l’église de Beaurains.
  2. Ib., II, 71, 72. — Cf. 85. « Le citoyen Chamonart, marchand de vin, étant à la porte de sa cave, voit passer le représentant, le regarde et ne le salue pas. Lebon vient à lui, le fait arrêter, le traite d’agent de Pitt et de Cobourg… On le fouille, on prend son portefeuille, et on le conduit aux Anglaises. » (Procès, tome I, 283.)
  3. Ib., II, 84.