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LES GOUVERNANTS


sans autre but que de se conserver et de s’amuser[1]. — En robe de chambre, le matin, il reçoit la foule des solliciteurs, et, avec les façons « d’un ministre petit-maître », gracieusement, il prend les placets, d’abord ceux des dames, « distribuant des galanteries aux plus jolies » ; il promet, sourit, puis, rentrant dans son cabinet, jette les papiers au feu : « Voilà, dit-il, ma correspondance faite. » — Deux fois par décade, dans sa belle maison de Clichy, avec trois jolies femmes plus que faciles, il soupe, il est gai, il a des complaisances et des attentions de protecteur aimable ; il entre dans leurs rivalités de métier, dans les dépits de la beauté régnante, dans sa jalousie contre une autre qui vient d’arborer les perruques blondes et prétend « donner le ton à la mode ». Sur-le-champ, il fait venir l’agent national et lui annonce gravement que cette parure, empruntée aux guillotinés, est un signe de ralliement contre-révolutionnaire : le lendemain, dénonciation au Conseil de la Commune et suppression des perruques ; « Barère suffoquait de rire quand il se rappelait cette gentillesse ». Gentillesse de croque-mort et dextérité de commis voyageur : il joue avec la Terreur. — Pareillement, il joue avec ses rapports et, dans cet exercice, il improvise ; jamais d’embarras ; il n’y a qu’à tourner le robinet, pour que le robinet coule. « Avait-il quelque sujet à

  1. Vilate (édition Barrière), 184. 186, 244 : « Léger, ouvert, caressant, aimant la société, surtout celle des femmes, recherchant le luxe et sachant dépenser. » — Carnot, II, 511. — Aux yeux de Prieur, « Barère était simplement un bon enfant ».