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LA RÉVOLUTION


David, Jagot, et le reste, entrepreneurs, rapporteurs et agents de la proscription universelle. — Leur office a laissé sur eux son empreinte ; on les reconnaît « à leur teint flétri[1], à leurs yeux caves, ensanglantés » ; l’habitude de l’omnipotence a mis « sur leur front et dans leurs manières je ne sais quoi d’altier et de dédaigneux. Ceux du Comité de Sûreté générale ont quelque chose des anciens lieutenants de police, et ceux du Comité de Salut public, quelque chose des anciens ministres d’État ». — À la Convention, « on brigue l’honneur de leur conversation, l’avantage de leur toucher la main ; on croit lire son devoir sur leurs fronts ». Les jours où quelqu’un de leurs arrêtés doit être converti en décret, « les membres du Comité, le rapporteur, se font attendre, comme les chefs de l’État et les représentants du pouvoir souverain ; lorsqu’ils s’acheminent vers la salle des séances, ils sont précédés d’une poignée de courtisans qui semblent annoncer les maîtres du monde[2] ». — Effectivement, ils règnent ; mais regardez à quelles conditions.

« Ne réclame pas », disait Barère[3], à l’auteur d’un opéra dont la représentation venait d’être suspendue ; « par le temps qui court, il ne faut pas attirer sur soi l’attention publique. Ne sommes-nous pas tous au pied de la guillotine, tous, à commencer par moi ? » Et, vingt ans plus tard, dans une conversation particu-

  1. Dusaulx, Fragment pour servir à l’histoire de la Convention.
  2. Thibaudeau, I, 49.
  3. Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, II, 74.