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LES GOUVERNANTS


colonnes d’assaut[1]. — Naturellement, ils n’ont point de loisirs pour venir bavarder aux Jacobins ou intriguer dans la Convention : Carnot vit au Comité et dans ses bureaux, ne prend pas le temps d’aller manger avec sa femme, dîne d’un petit pain et d’un carafon de limonade, et travaille seize, dix-huit heures par jour[2] ; Lindet, surchargé plus que personne, parce que la faim n’attend pas, lit de ses yeux tous les rapports et « y passe les jours et les nuits[3] » ; Jeanbon, en sabots et carmagnole de laine[4], avec un morceau de gros pain et un verre de mauvaise bière, écrit et dicte, jusqu’à ce que, les forces lui manquant, il se jette, pour dormir, sur un matelas étalé par terre. — Naturellement encore, quand on les dérange et qu’on leur casse en main leurs outils, ils ne sont pas contents ; ils savent trop bien le prix d’un bon outil, et, pour le service tels qu’ils le comprennent, il faut des outils efficaces, des employés compétents et laborieux, assidus au bureau, non au club. Quand un subordonné est de cette espèce, ils sont loyaux envers lui, ils le défendent, parfois au péril de leur propre vie, jusqu’à encourir l’inimitié de Robespierre. Cambon[5], qui

  1. Carnot, Mémoires, I, 407.
  2. Carnot, 450, 523, 527. « Souvent nous mangions à la hâte un morceau de pain sec sur la table du Comité. »
  3. Moniteur, XXI, 362 (Discours de Cambon, séance du 11 thermidor an II).
  4. Beugnot, Mémoires, II, 15 (Paroles de Jeanbon-Saint-André dans une conversation, en 1813, à Mayence).
  5. Gaudin, duc de Gaëte, Mémoires, I, 16, 28. « J’ai dû la vie personnellement à Cambon, et il préserva par sa fermeté la trésorerie tout entière, continuellement attaquée par le club tout-puissant des Jacobins. » — Le 8 thermidor, Robespierre fut « très