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LA RÉVOLUTION


Tout cela, il parvient presque à le croire, avant de le dire, et tout cela, après qu’il l’a dit, il le croit[1].

Quand la nature et l’histoire se concertent pour composer un personnage, elles y réussissent mieux que l’imagination humaine. Ni Molière dans son Tartufe, ni Shakespeare dans son Richard III, n’ont osé mettre en scène l’hypocrite convaincu de sa sincérité et le Caïn qui se croit Abel. Le voici sur une scène colossale, en présence de cent mille spectateurs, le 8 juin 1794, au plus beau jour de sa gloire, dans cette fête de l’Être suprême, qui est le triomphe retentissant de sa doctrine et la consécration officielle de sa papauté. Deux personnages sont en lui, comme dans la Révolution qu’il représente, l’un, apparent, étalé, extérieur, l’autre, inavoué, dissimulé, intime, et le second recouvert par le premier. — Le premier, tout de parade, forgé par la cervelle raisonnante, est aussi factice que la farce solennelle qui se développe autour de lui. Conformément au programme de David, le peuple de comparses, qui défile devant une montagne allégorique, fait les gestes indiqués, pousse les cris commandés, sous l’œil d’Henriot

  1. Mot de Mirabeau sur Robespierre : « Tout ce que cet homme a dit, il le croit. » — Robespierre, hôte de Duplay, dînait tous les soirs avec Duplay, juré au Tribunal révolutionnaire et collaborateur de la guillotine à 18 francs par jour. Probablement, à la table de famille, l’entretien roulait sur les abstractions ordinaires ; mais parfois on devait mentionner les condamnations du jour, et, même quand on ne les mentionnait pas, on y pensait. Seul aujourd’hui Robert Browning pourrait reconstituer le dessus et le dessous de ces entretiens, le soir, devant la mère et les jeunes filles.