Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
LA RÉVOLUTION


faisait un inquisiteur quand il découvrait dans un texte de l’Évangile l’ordre de brûler les hérétiques. — Par cette perversion extrême, le cuistre arrive à fausser son propre instrument mental ; désormais il peut en user à son gré, au gré de ses passions, croire qu’il sert la vérité quand il les sert.

Or sa première passion, la première passion de celui-ci, est la vanité littéraire. Jamais chef de parti, de secte ou de gouvernement n’a été, même au moment décisif, si incurablement rhéteur et mauvais rhéteur, compassé, emphatique et plat. — La veille du 9 Thermidor, quand il s’agit de vaincre ou de périr, il apporte à la tribune un discours d’apparat, écrit et récrit[1], poli et repoli, plaqué d’ornements voulus et de morceaux à effet[2], revêtu, à force de temps et de peine, de tout le vernis académique, avec le décor obligé des antithèses symétriques, des périodes filées, des exclamations, prétéritions, apostrophes et autres figures du métier[3].

  1. Buchez et Roux, XXXIII, 406 (Discours lu le 8 thermidor). Manuscrit imprimé avec les corrections et les ratures.
  2. Ib., 420, 422, 427.
  3. Ib., 428, 435, 436. « Ô jour à jamais fortuné où le peuple français tout entier s’assembla pour rendre à l’auteur de la Nature le seul hommage digne de lui ! Quel touchant assemblage de tous les objets qui peuvent enchanter le regard et le cœur des hommes ! Ô vieillesse honorée ! Ô généreuse ardeur des enfants de la patrie ! Ô joie naïve et pure des jeunes citoyens ! Ô larmes délicieuses des mères attendries ! Ô charme divin de l’innocence et de la beauté ! Ô majesté d’un grand peuple heureux par le seul sentiment de sa force, de sa gloire et de sa vertu ! » etc. — « Non, Chaumette, non, la mort n’est pas un sommeil éternel. » — « Peuple, souviens-toi que dans la République, » etc… — « S’il faut que je dissimule ces vérités, qu’on m’apporte la ciguë. »