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LA RÉVOLUTION


révolutionnaire de Paris, les massacres de Lyon et de Toulon, les noyades de Nantes. — Dès l’abord et jusqu’à la fin, il a été dans le droit fil de la Révolution, lucide à force d’aveuglement, grâce à sa logique de fou, grâce à la concordance de sa maladie privée et de la maladie publique, grâce à la précocité de son délire plein parmi les autres délires incomplets et tardifs, seul immuable, sans remords, triomphant, établi du premier bond sur la cime aiguë que ses rivaux n’osent pas gravir ou ne gravissent qu’en tâtonnant.

II

Il n’y a rien du fou chez Danton ; au contraire, non seulement il a l’esprit le plus sain, mais il possède l’aptitude politique, et à un degré éminent, à un degré tel, que, de ce côté, nul de ses collaborateurs ou de ses adversaires n’approche de lui, et que, parmi les hommes de la Révolution, Mirabeau seul l’a égalé ou surpassé. — C’est un génie original, spontané, et non, comme la plupart de ses contemporains, un théoricien raisonneur et scribe[1], c’est-à-dire un fanatique pédant, une créature factice et fabriquée par les livres, un cheval de meule qui marche avec des œillères et tourne sans issue dans un cercle fermé. Son libre jugement n’est point entravé par les préjugés abstraits : il n’apporte point un contrat social, comme Rousseau, ni un art social, comme Siéyès,

  1. « Jamais Danton n’a écrit et n’a imprimé un discours. Il disait : Je n’écris point. » (Garat, Mémoires, 311.)