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LES GOUVERNANTS


retraite, de vivre des mois entiers à la façon d’une chauve-souris, dans « un caveau, dans un souterrain, dans un cachot sombre[1] ». Une fois, dit son ami Panis, il a passé « six semaines assis sur une fesse », comme un fou dans son cabanon, seul à seul avec son rêve. — Rien d’étonnant si, à ce régime, son rêve s’épaissit et s’appesantit, s’il se change en cauchemar fixe, si, dans son esprit renversé, les objets se renversent, si, même en plein jour, il ne voit plus les hommes et les choses que dans un miroir grossissant et contourné, si parfois, quand ses numéros sont trop rouges et que la maladie chronique devient aiguë, son médecin[2] vient le saigner pour arrêter l’accès et prévenir les redoublements.

Mais le pli est pris : désormais les contre-vérités poussent dans son cerveau comme sur leur sol natal ; il s’est installé dans la déraison, et cultive l’absurdité, même physique et mathématique. « À caver au plus bas[3], dit-il, la contribution patriotique du quart du revenu doit produire 4860 millions, et peut-être produirait-elle le double ; » avec cette somme, Necker

  1. Expressions de Marat et de Panis (Chevremont, I, 197, 203, et la Révolution, VI, 36, note 3).
  2. Michelet, Histoire de la Révolution, II, 89 (raconté par M. Bourdier, médecin de Marat, à M. Serres, le physiologiste). — Barbaroux, Mémoires, 355 (après une visite à Marat). « Il fallait voir avec quelle légèreté Marat faisait ses articles. Sans connaître un homme public, il demandait au premier venu ce qu’il en pensait, et il écrivait. « J’écraserai le scélérat », disait-il. »
  3. Chevremont, I, 361 (Pamphlet de Marat contre Necker juillet 1790).