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LES GOUVERNANTS


supercherie scientifique[1]. Il n’est pas même en état de comprendre les grands inventeurs, ses contemporains, Laplace, Monge, Lavoisier, Fourcroy ; au contraire, il les diffame, à la façon d’un révolté, usurpateur de bas étage, qui, sans titre aucun, veut prendre la place des autorités légitimes. — En politique, il ramasse la sottise en vogue, le Contrat social fondé sur le droit naturel, et il la rend plus sotte encore, en reprenant à son compte le raisonnement des socialistes grossiers, des physiologistes égarés dans la morale, je veux dire, en fondant le droit sur le besoin physique. « Des seuls besoins de l’homme dérivent tous ses droits[2]… Quand l’un d’eux manque de tout, il a droit d’arracher à un autre le superflu dont il se gorge. Que dis-je ? Il a le droit de lui arracher le nécessaire, et, plutôt que de périr de faim, il a droit de l’égorger et de dévorer ses chairs palpitantes… Pour conserver ses jours, l’homme a le droit d’attenter à la propriété, à la liberté, à la vie même de ses semblables. Pour se soustraire à l’oppression, il a droit d’opprimer, d’enchaîner et de massacrer. Pour assurer son bonheur, il est en droit de tout entreprendre. » On voit d’ici les conséquences. — Mais, quelles que soient les conséquences, quoi qu’il écrive et quoi qu’il fasse, il s’admire toujours et toujours à contre-sens, aussi glorieux de son impuissance encyclopédique que de sa malfaisance sociale. À l’en

  1. Chevremont, I, 74 (Témoignage d’Arago, 24 février 1844).
  2. Ib., I, 104 (Projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen).